Nuit et brouillard by Cayrol

Nuit et brouillard by Cayrol

Auteur:Cayrol
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Fayard/Mille et une nuits
Publié: 2010-09-15T04:00:00+00:00


Ces deux rêves donnent toute l’explication et l’accent que pourront avoir les relations affectives entre les personnages d’une œuvre lazaréenne. D’abord l’oubli des êtres les plus chers, une totale indifférence envers ceux qu’ils aiment, parfois une secrète répulsion qui permet d’envisager le pire sur chacun, l’abolition de toute tendresse, une facile déception qui ne demande qu’à s’accroître. La sympathie peut souvent devenir intolérable pour le héros concentrationnaire ; il écarte tout ce qui le retient et il se méfie de tout mouvement d’abandon ; il est rapidement accablé et aimerait jouer le rôle du convive de pierre dans les assemblées ; tout désir s’abolit en lui ; il peut se contenter d’amours furtifs, d’amitiés éclairs, mais il ne se trouve bien que dans l’instabilité ; il fera naître l’indifférence. Mais nous arrivons au point essentiel de son comportement, la naissance en lui-même d’un amour parasitaire, accompagné d’une tenace insensibilité.

Le romanesque lazaréen est un romanesque chaste ; il n’aura pas de gestes osés, de mots audacieux. Il n’est pas encore arrivé à se réincarner dans un autre monde que le sien. Tout personnage lazaréen est un être castré dont le subconscient prolonge les conséquences les plus inattendues jusque dans une sorte d’ascétisme farouche. Il ne sait plus appréhender, retenir, saisir. Tout contact peut devenir pour lui attouchement ; il voit mal un corps, la beauté d’une épaule, la pureté d’un profil ; il ne sait que répéter ce qu’on dit avant lui. La couleur des yeux lui échappe ; les particularités d’un visage s’évanouissent devant son regard. Ainsi, l’écrivain ne pourra peindre une physionomie, tracer un portrait, le différencier, l’analyser, y trouver une ressemblance, une préférence. S’il décrit un personnage, il en fera une peinture comme celle d’une nature morte, fixe, pétrifiée. Les muscles n’y bougeront pas, les yeux seront immobiles, légèrement hagards. La bouche sera toujours ouverte, non pour la parole mais pour le cri. « Ne pas se livrer » : tout est là pour un héros lazaréen. Il vivra dans l’anonymat, dans l’illégalité même de ses sentiments et il ne pourra découvrir que chez les autres le sens profond d’un amour, son équilibre, sa joie, sa plénitude. Il recherche sans fin un exemple, un modèle, et au cœur de cette désintégration sentimentale dans laquelle il se débat, peut-être n’est-il pas loin de tous ceux qui reportent sur les autres le soin de réussir un amour. Je songe aux innombrables revues hautes en couleur qui projettent sur notre monde les ombres de couples célèbres et qui font subir une dictature affective sur tant de nos compatriotes. L’amour parasitaire n’est pas seulement une suite des camps de concentration, mais un effet de cet univers sans Dieu où les ersatz se mêlent aux produits les plus purs de notre cœur et de notre spiritualité. Ce monde indifférent dans lequel nous sommes ne peut plus exister que dans ses reflets, dans son écho, dans son image ; l’érotisme même a disparu. Le plexiglas a remplacé le cristal le plus clair, car nous cherchons à avoir un monde incassable entre les mains.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.